Sur une plage de sable noir perdue à la pointe du monde – il en avait besoin – Leo balance vers l’horizon les rares galets trouvés quelques instants auparavant sur le sentier qui descendait. Leur forme ronde, polie par les années, se prêtait hélas mal à l’art du ricochet mais ce n’est finalement qu’une préoccupation de plus…
Il les jette un à un, marque une pause entre chaque, le premier lancé est mélancolique, les suivants sont de plus en plus énergiques, la révolte intérieure trouve ainsi une porte de sortie. Leo a fait de son mieux jusqu’ici et pourtant il lui semble avoir trop raté. C’est un étrange mélange de sentiments. Il est peut-être tout simplement tombé au mauvais endroit à la mauvaise époque : au milieu de l’absurdité du 21e siècle.
Sur cette plage, Leo réfléchit à tout, à rien – cet endroit lui convient parce qu’il est peut-être tout aussi perdu que lui. Il a jeté ses pierres et cela lui a fait un bien absurde. Les mains vides, il s’assoit, il regarde l’horizon. Il est 17h, le soleil descend doucement et reflète sa lumière sur l’océan, lui, se reflète quelques-unes de ses histoires qui font de lui le Léo d’aujourd’hui. Il refait le film de ce bambin au disque dur vierge qu’on a programmé petit à petit, il a l’impression que le logiciel déraille. Il ne demandait rien, seulement à être heureux, quoi d’extraordinaire ? Petit, chaque fois qu’il avait l’occasion de faire un vœu, il fermait les yeux et souhaitait être heureux, avec un cœur bon. Il ne se sent pas si malheureux pour autant et en convient volontiers… et pourtant ! Il lui manque un quelque chose, il lui manque la passion et l’insouciance peut-être, l’optimisme sûrement mais l’optimisme se réserve aux naïfs pense-t-il. Il est tout aussi révolté que résigné. La révolte il l’a connue, contre son milieu qui n’a jamais cru aux choses simples. Avec le temps il a aussi appris à les accepter, à faire avec. La révolte ne l’avait pas quitté pour autant, mais il prenait du recul en même temps qu’il prenait des années jusqu’au jour où il avait fini par accepter, le révolté trouvait alors sa tranquillité, égaré dans cette dualité. Pourquoi accepter ? Pourquoi se résigner ? Où est donc passé le Léo de ses 7ans ? A quoi bon enterrer ses rêves ? A quoi cela sert d’être sur cette plage ? A quoi tout cela rime-t-il ?
Léo le révolté mais tranquille. Nous ne sommes que le fruit de nos propres actions et de nos propres choix. Alors s’il en est là aujourd’hui, c’est qu’il l’a un peu cherché après tout. Tout se tasse pêle-mêle dans sa tête qu’il sent prête à exploser. C’est pour cela qu’il aime prendre du recul à l’occasion, pour s’isoler dans un paysage inspirant où il y retrouve la Beauté, là où pour lui Dieu est le plus présent, pour y tasser tout son bordel dans la cocotte-minute de son esprit et relâcher soudain la vapeur pour fixer l’horizon, se concentrer sur sa respiration et méditer quelques instants, faire le vide. Cela peut durer cinq minutes, trente, peu importe. La démarche est auto-salvatrice. Tout s’évapore, il y reviendra sûrement plus tard, mais pour l’heure c’est le néant, c’est paisible, enfin. Léo s’en retourne alors et jette un dernier regard vers le soleil qui touche maintenant de ses feux l’horizon. Il faut bien retourner à la lutte, la lutte pour lui-même, contre les autres, contre lui-même, avec les autres et avec lui-même. Il restera Léo, quoi qu’il arrive, il restera révolté, il restera tranquille et si le destin l’a mis là c’est bien pour une raison. Le temps, le destin peut-être, finira par éclairer cette raison d’évidence. C’est cette pensée qui donne du sens à Léo. Rien n’arrêtera Léo et Léo ne s’arrêtera pas d’être Léo, un doux rêveur, révolté mais tranquille, et comme des milliards d’êtres humains : perdu au milieu de l’absurdité du 21e siècle.